Crédit Photo : Citadis
Après 60 ans d’hégémonie sur l’aménagement du Vaucluse et les errements de ces dernières années, la société d’économie mixte Citadis, déficitaire, pourrait payer cher ses déboires par sa disparition ou une sérieuse restructuration. Le récent rapport de la Chambre régionale des Comptes est sans appel.
Quel avenir pour Citadis ? Pendant 60 ans, cette société d’économie mixte (SEM) a régné en maître sur le BTP vauclusien trustant les grands marchés et choisissant ses fournisseurs. Tous les professionnels de la filière se plaignaient en secret de l’hégémonie de cette structure publique aux prérogatives exceptionnelles, mais personne ne pipait mot de peur d’être exclu d’hypothétiques marchés futurs. Mais depuis plusieurs années, le périmètre de l’ancienne SEDV (Société d’équipement du Vaucluse) se réduit sans cesse.
Dominique Santoni, présidente du Département de Vaucluse, PDG de Citadis, vient de lancer un important audit pour clarifier sa situation et envisager toutes les solutions possibles pour l’avenir de cette structure, voire sa disparition ou la fusion de ses services dans une autre structure, la société publique d’Aménagement Territoire Vaucluse. La ville d’Avignon, le Grand Avignon et la Banque des territoires s’associent dans cette mission financière et juridique « sur les conditions de maintien de la viabilité économique de Citadis » avec la possibilité, pour les actionnaires, de retirer leurs billes. Un requiem ?
Structure bien née
Cet outil fut créé par deux élus visionnaires, Henri Duffaut, maire d’Avignon et Jean Garcin, président du Conseil général, rassemblés pour doter le territoire d’un bras armé pour son aménagement. Premier chantier, la transformation du vétuste quartier de Balance avec la création de ses immeubles haut de gamme devant le Palais des Papes. Puis, toutes les grandes infrastructures comme la rocade d’Avignon, le pont de l’Europe, le parc des expositions d’Avignon, la zone d’activités de Courtine, la caserne des pompiers de Fontcouverte, la gare routière d’Avignon, la réalisation de la percée Favard, la rénovation de l’habitat insalubre de la rue Philonarde en Avignon, la destruction des barres de Champfleury, Agroparc…
Quand les deux hommes quittèrent la vie politique, des dissensions entre politiciens de la Ville et du Département ont mis la structure à mal. Cette société n’a survécu qu’en prenant de l’autonomie et l’ascendant sur ses élus réunis dans un conseil d’administration divisé. Mais générant une gestion posant beaucoup de questions sans réponses. La SEM compte, aujourd’hui, comme actionnaires la ville d’Avignon (29,05 %), le Département (28,12 %) et la Caisse des Dépôts et Consignations (23,43 %).
Société publique concurrente
Résultat, aujourd’hui, le Grand Avignon et la ville d’Avignon ont créé, de leur côté, Grand Avignon Aménagement, une société locale d’aménagement concurrente avec une seule salariée, qui va gérer les deux grands chantiers futurs de la ville, celui de la gare TGV et l’écoquartier Joly Jean. La maire d’Avignon précisant, en juin, que Citadis se voyait toujours déléguer l’avenir d’Agroparc. Son adjoint, annonçait deux mois plus tard, que cette zone d’activité de 200 ha lancée en 1987 n’était plus en développement. Quid des activités de Citadis.
Heureusement, l’essentiel du personnel de cette société d’économie mixte est mis à disposition d’une autre structure installée dans les mêmes locaux, la Société Publique Locale Territoire Vaucluse créée en 2014 par le Département. Les équipes de Citadis managent ses projets d’aménagement pour les 25 mairies et groupements de communes du département qui adhèrent à cette SPL. Son statut lui assure une absence de mise en concurrence pour travailler pour les collectivités locales adhérentes, comme c’était le cas pour Citadis avant le changement de la loi.
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Gestion catastrophique
Depuis, avril, Xavier Simon (photo ci-contre), vient d’en prendre la direction. Le longtemps numéro 2 de Citadis, directeur jusqu’alors de Territoire Vaucluse, assure la suite d’un très discret directeur, Richard Souche, ex-directeur financier de la SEM, qui en tient les rênes depuis de longs mois de vacance du pouvoir. Virginie Delormel, la directrice générale qui l’a précédé en 2019, a été «révoquée» en 2020 après avoir réalisé un audit qu’elle a commandé au cabinet FCN à son arrivée en 2019, nécessaire préalable à la relance de machine.
Le rapport était cinglant : des fonds propres importants de 13,5 M€ pour réaliser des opérations mais gelés pour couvrir des risques d’opérations hasardeuses, un déficit de trésorerie de 5 M€ avec un découvert «inquiétant» qui met la structure à la merci des banques prêteuses, des délais de sortie d’opérations beaucoup trop longs rendant ces mêmes opérations non rentables, une absence de rentabilité des chargés d’opération, lents, incapables de travailler en mode projet et peu impliqués pour aller recouvrir les factures, de gros problèmes de compétences pour une partie du personnel, 3 millions de pertes cumulées sur des opérations immobilières mobilisant les fonds propres, un plan financier réclamé depuis 2 ans par la Chambre régionale des comptes toujours pas établi, un budget prévisionnel de l’année «erroné», un risque pénal et fiscal sur la gestion de salariés, un surdimensionnement du service des marchés toujours pas dématérialisé, un rapport de gouvernance d’entreprise non rédigée depuis 2 ans, des doubles contrats de travail…
Mais toute vérité n’est pas bonne à dire. La directrice recrutée par Cécile Helle, maire d’Avignon, fut virée dans la foulée par Norbert Page-Relo, omnipotent directeur général du Département d’alors. Après des années de suspicions, cet audit et deux rapports de la Chambre régionale des comptes, rien n’a changé. Attendons le prochain rapport.
Investissements hasardeux
Les plus récents travaux de la Chambre régionale des Comptes souligne «une société ancienne qui s’est éloignée de ses actionnaires», et qui a, lors de la dernière décennie, tenté de draguer des nouveaux marchés rémunérateurs hors Vaucluse, très éloignés de sa mission première d’aménageur local notamment en investissant dans des sociétés civiles immobilières.
Résultat : «En dépit de plusieurs plans d’action ambitieux, la société, dont la rentabilité est insuffisante et les prix de revient trop élevés, ne parvient pas à trouver de nouveaux débouchés», précise le rapport. Un temps, Citadis a remporté quelques succès dans la rénovation de quelques hôpitaux en France, grâce à une expertise reconnue. Puis, plus rien depuis de longues années. La Chambre ajoute que la nomination du directeur financier à la direction «contribue également à affaiblir le pilotage du chiffre d’affaires».
Grave santé financière…
Les comptes parlent d’eux même : De 2020 à 2021, le chiffre d’affaires chute de 23,87 % tombant à 16,3 M€. Le résultat net baisse de 141,48 % passant de 182 000 € à un trou de 439 000 € ! Pourtant, la Chambre régionale des Comptes avait déjà tiré la sonnette d’alarme auprès des élus actionnaires : «Pendant la période 2013-2019, son chiffre d’affaires est en baisse de près de 7% par an.
La SEM affiche un résultat déficitaire cumulé de 663 K€. Ces difficultés d’exploitation se doublent d’un bilan dégradé avec en particulier une trésorerie nette négative sur tous les exercices depuis 2014». Le rapport souligne « la faiblesse du contrôle politique sur la stratégie de la société », « une crise de confiance entre la présidente et le directeur exécutif » qui précéda la directrice révoquée, et «son autonomisation croissante vis-à-vis de ses collectivités actionnaires».
En d’autres termes, un Etat dans l’Etat. Le politique chargé d’imprimer sa vision et ses missions sur les organismes publics et parapublics avait, depuis longtemps, perdu la main.
…et juridique
La Chambre s’inquiète également que la politique de Citadis de devenir promoteur immobilier et de posséder un patrimoine qui «expose indirectement les collectivités et groupements d’actionnaires de la société d’économie mixte à leurs pertes éventuelles». En cas de déboire, c’est le contribuable qui règlera l’addition. Les quatre SCI de Citadis perdaient 2,1 M€ en 2018, et imposaient une mobilisation des fonds propres. Ce patrimoine comprend l’hôtel d’entreprises de la Croix Rouge (58% de vacances) et la résidence étudiante des Fenaisons (Campus CCI), toutes deux sous- occupées, celle du Parc des Expos loué à Avignon Tourisme qui n’a pas payé tous ses loyers et un projet immobilier avorté chemin de Saint Jean.
Bailleur vraiment malheureux, Citadis, propriétaire de ses magnifiques bâtiments de l’impasse de l’Oratoire à Avignon n’a toujours pas trouvé un remplaçant depuis 2017, année de départ, d’une partie de ses locaux, du Conseil régional, soit 88 000 € de perdus par an. Sur 258 opérations managées par Citadis, 109 ont un résultat au moins équilibré (42 %), les dix opérations les plus rentables (promotion immobilière et opérations patrimoniales) représentant 78 % des résultats positifs générés. Les activités historiques de la SEM restent déficitaires. Pendant 4 ans, La SEM a voulu se refaire une notoriété par la publicité pour 1,3 M€ «sans que les bénéfices engrangés ou attendus de cet investissement puissent être mesurés», d’après le rapport.
Absence de vision
Pour intervenir dans le secteur privé, Citadis a créé Edifis en 2014. La Chambre régionale des comptes relève que les actionnaires de la société d’économie mixte, notamment les élus d’Avignon, du Grand Avignon, du Pontet et du Département n’ont pas donné leur accord. Le rapport souligne que «l’absence de plan de développement ne permet pas d’avoir une vision de ses perspectives de croissance et de sa viabilité économique à moyen terme». Edifis réalise deux projets. Les Hamadryades (1,2 M€), avec ses trois bâtiments sur Agroparc pour accueillir des PME. Un des principaux locataires, connu sur la place, ne paie pas de loyer sans que personne n’y trouve à redire. Les Bureaux Fiducial sur Courtine (1 M€). Et le service après-vente d’Auchan à Vedène pour un groupe qui dispose lui-même de son entreprise d’aménagement dont le siège est à Sorgues. Tout juste à l’équilibre, Edifis mobilise encore 1,4 M€ de fonds propres de Citadis bloquant son développement.
Zones floues
Le rapport souligne également des relations fort particulières entre Citadis et la SPL Territoire Vaucluse, gérée «avec une convention imprécise» entre les deux entités. La société d’économie mixte ne perçoit que 10 000 € par an pour la gestion de la SPL. La mise à disposition de personnel relève, selon la Chambre, du prêt illicite de main d’oeuvre, d’une définition peu précise des tâches confiées et un flou dans les responsabilités contractuelles. Citadis ne serait pas responsable de la bonne exécution des travaux ou de pénalités de retard. Sa compétence d’aménageur ne lui confère pas celle de gestionnaire. Un précédent rapport pointait déjà du doigt «des conventions de services peu précises» avec une confusion entre les missions d’études et de réalisations.
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Solutions «irrégulières»
Il aura fallu 5 ans pour que Citadis tente de régulariser cette situation sur le plan formel avec un document finalement jugé «irrégulier» au regard du droit du travail et de l’emploi concernant les personnels mis à disposition. Certains salariés de Citadis travaillent plus pour la SPL et certains doublons pénalisent l’efficacité des deux structures publiques. La création, finalement d’un groupement d’intérêt économique (GIE) pour gérer les deux structures a prélevé 15 collaborateurs des 36 que comptait Citadis (32 aujourd’hui).
Le rapport souligne une refacturation pifométrique de la répartition des charges entre la société d’économie mixte et la SPL. En 2013, 10 % des jours travaillés n’ont fait l’objet d’aucune affectation, 23 % en 2019. L’ancien directeur gérait les trois structures, interdisant tout rapport hiérarchique et contrôle de gestion interne. Ses services ont été incapables de fournir les comptes rendus annuels aux collectivités locales des concessions d’aménagement. Le GIE, véritable armée mexicaine coûte 270 000 € par an, et, en plus, dépense 335 000 € en missions d’experts comptables externes !
Pourtant, 3 des membres de la direction financière concentraient, à elles seules 36% des augmentations de salaires accordées en 2019.
Comptes incomplets
Le commissaire aux comptes, contrôleur externe obligatoire de la véracité et probité des chiffres des structures, n’a pas été en mesure d’assurer sa mission. On fait mieux en matière de transparence et de respect de la légalité. La pratique est similaire quand Citadis réalise un aménagement pour une collectivité. Elle ne lui fournit jamais, comme le prévoit la loi, de compte-rendu financier, encore moins les risques à provisionner.
Les maires et présidents de groupement de communes concernés, tous vauclusiens, ne semblent pas s’en émouvoir pour autant. Pourtant, le rapport souligne qu’il a analysé des risques sur certaines opérations, de non- conformité avec l’évolution de la loi provoquant une insécurité juridique entre la collectivité locale et la SEM, notamment sur une opération déficitaire de 1 M€ à Cavaillon. Pire, certains avenants à des conventions de concession avec des communes restent introuvables. Déjà, sur la transparence de sa gouvernance, la Chambre, dans un précédent rapport soulignait l’absence de personnes extérieures prévues dans les statuts au conseil d’administration. Les représentants politique ne restant qu’entre eux. Mais aussi une présentation des rapports financiers «qui ne favorisait pas la lisibilité».
Retraites d’exception
Reste qu’il fait bon travailler chez Citadis et surtout partir à la retraite. Outre l’indemnité légale, les salariés perçoivent six mois de salaire. Par rapport aux ratios de la convention collective de la promotion immobilière, la SEM a déboursé 523 535 € contre 167 392 € pour 7 départs à la retraite entre 2013 et 2019. À cela s’ajoute l’indemnité de départ du directeur en 2019 avec un chèque de 232 000 €. Actuellement, quatre collaborateurs partent à la retraite avec chacun 130 000 € à 140 000 €.
Chez Citadis, ces ponts d’or sont de tradition. L’ancien directeur, dont l’évocation du seul nom a fait trembler les patrons du BTP, salarié pour 9600€ par mois pour 85% d’un temps plein, bénéficiait d’un logement de fonction, d’un treizième mois et d’une prime allant jusqu’à 25 % du salaire. Or cette prime ne reposait sur aucun critère de performance. Lors de son départ, les élus lui accordent 589 000 € de primes diverses, quasiment le résultat net de Citadis de l’époque, une somme qui aurait pu être utilisée pour un projet d’intérêt général. L’intéressé a pu, également occupé son logement de fonction qu’il finit par racheter, un bien à 509 000 € !
Après des décennies d’omerta et de gabegie, l’heure ne serait-elle pas de faire appel à la responsabilité et la probité des élus pour faire le ménage sur cette structure qui plombe les marges de manoeuvres de l’action publique du cinquième département le plus pauvre de France. Une pauvreté qui n’est pas partagée par tous.