La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Vaucluse traverse la séquence la plus délicate de sa mandature. Après les démissions successives de quatre membres de son bureau, Bruno Delorme (secrétaire) en février 2024, puis Thierry Francou (trésorier), Richard Hemin et Nordine Saihi cet été, l’institution a été placée sous tutelle par la préfecture. Un contexte de crise institutionnelle inédit qui débouchera, le 23 septembre, sur un vote crucial : celui de la recomposition du bureau et l’élection d’un nouveau président.

Une gouvernance de plus en plus contestée

Derrière cette situation, c’est moins une querelle de personnes qu’une remise en cause profonde du mode de gouvernance qui se joue. Plusieurs élus pointent un fonctionnement jugé trop centralisé autour du duo formé par le président Gilbert Marcelli et le directeur général Tomas Redondo.

Leur proximité est ancienne : Tomas Redondo fut longtemps secrétaire général de l’UIMM de Vaucluse lorsque Gilbert Marcelli en était le président, et son rôle fut déterminant dans la victoire de la liste Marcelli en 2021.

Le technicien est arrivé à la Chambre consulaire discrètement, dans les bagages du Président Marcelli. D’abord aux postes de directeur des affaires institutionnelles, puis de directeur exécutif, avant d’en prendre la Direction Générale en 2023.

Depuis, beaucoup d’élus estiment que la vie consulaire s’organise autour de ce « binôme », laissant peu de place à la collégialité et à la co-construction avec les membres du bureau, pourtant censées être le cœur du fonctionnement d’une chambre consulaire.

Quai des Saveurs : un projet qui cristallise les critiques

Le Quai des Saveurs illustre à lui seul ces tensions. Ce restaurant, installé sur le parvis de la gare Avignon Centre et détenu par la CCI via une SASU, avait été présenté à tous (CCIR, préfecture, ville d’Avignon, élus CCI, presse, partenaires…) durant l’appel d’offres, comme un restaurant d’application adossé à l’école hôtelière d’Avignon.

Il n’a finalement jamais obtenu ce statut très encadré et fonctionne aujourd’hui comme un restaurant classique, avec une équipe en partie composée de jeunes en apprentissage. L’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) souligne qu’elle n’a pas engagé de recours contre ce projet au moment de sa conception, dans la mesure où il avait été présenté comme un restaurant d’application.

L’opération et les travaux auraient nécessité un prêt de 1,5 million d’euros consenti par la CCI. Après quelques mois d’exercice et malgré l’engagement des équipes, le chiffre d’affaires, loin des attentes, met sérieusement en doute la viabilité du projet.

Pour certains élus, ce choix interroge : fallait-il mobiliser de tels moyens financiers sur ce projet alors que l’école hôtelière, fleuron historique de la CCI, a besoin de ressources pour se développer ? Et surtout, une chambre consulaire peut-elle, doit-elle, se positionner en acteur concurrentiel avec le secteur privé, au risque d’être accusée de concurrence déloyale ? Une position exprimée au sein de l’UMIH par de nombreux restaurateurs ainsi que par le Président de la CPME de Vaucluse.

Nextech puis, l’Écho du Mardi : la cerise sur le gâteau

Autre décision qui a fait débat : la reprise en 2024 de l’école privée Nextech, en pleine crise et pour la coquette somme de 4 millions d’euros.

L’École Nextech, implantée à Avignon et Pertuis, a longtemps été un pilier dans le domaine de l’industrie et du numérique. En fin d’année 2023, l’établissement était doté de 70 collaborateurs et 900 élèves. Quelques mois plus tard et après trois présidents démissionnaires coup-sur-coup, l’école a été placée en redressement judiciaire. Après quelques mois de procédure, le Tribunal judiciaire d’Avignon retenait l’offre de la CCI de Vaucluse, parmi les autres candidats repreneurs, tous du secteur privé.

Si ce projet de reprise pouvait être perçu comme légitime car il s’inscrivait dans la volonté affichée par la CCI de renforcer son pôle de formation, là encore, certaines écoles candidates à la reprise, ont dénoncé une concurrence déloyale.

Et comme pour couronner ce sentiment d’incompréhension, un autre projet aurait été engagé et avorté juste avant la crise et les démissions en cascade de cet été : il s’agit du rachat par la CCI du journal d’annonces légales L’Écho du Mardi, pour un montant estimé à 550 000 €.

Un investissement qui a sidéré de nombreux élus, tant il semblait éloigné des missions premières de la CCI. Pour beaucoup, cette tentative avortée a agi comme un révélateur : celui d’une gouvernance qui décide seule, sans rendre véritablement compte, sans mesurer l’impact financier et stratégique de ses choix sur l’institution consulaire.

Contacté, le rédacteur en chef du journal confirme la mise en vente de L’Écho du Mardi par son propriétaire et indique que « plusieurs candidats sont sur les rangs, dont des médias, des professionnels du droit des affaires ainsi que des pistes plus innovantes ».

Deux candidatures, deux visions différentes

Dans ce contexte, deux candidatures seront proposées le mardi 23 septembre.

Gilbert Marcelli, président sortant, entend poursuivre la dynamique engagée tout en promettant d’être davantage à l’écoute. Il a diffusé récemment en interne un document très détaillé estampillé CCI « États des lieux et perspectives » listant les nombreuses actions menées depuis 2021, de l’Académie Vaucluse Provence au salon Innomoov, en passant par le Hub de l’Économie et les chèques cadeaux pour soutenir le commerce de proximité…

Face à lui, Bruno Delorme, chef d’entreprise (25 M€ de chiffre d’affaires dans les travaux publics, carrières, béton), administrateur à la fédération du BTP84 et élu consulaire depuis 2021, propose à travers un document qu’il a envoyé à chaque élu, une rupture de méthode et une nouvelle voie : remettre les élus au cœur des décisions, rendre les assemblées générales plus vivantes, créer des espaces d’échanges réguliers pour retrouver un esprit d’équipe.

Au-delà du choix d’un président, ce scrutin interroge la trajectoire d’une institution financée en grande partie par de l’argent public.

En effet, dans un contexte économique incertain, la crédibilité de la CCI de Vaucluse ne repose pas sur des initiatives incertaines, coûteuses et spectaculaires qui sortent de son périmètre, ni sur le leadership d’un seul homme ou d’un binôme providentiel mais bel et bien sur une gouvernance partagée, tournée vers la préservation de l’intérêt général.

Tandis que le spectre d’un rapprochement entre les CCI et les Chambres de Métiers plane au plus haut niveau et que le pays plonge dans la crise, l’enjeu pour l’institution consulaire est clair : retrouver de la stabilité, de l’intelligence collective, des projets mesurés et surtout, une capacité à fédérer l’ensemble des forces économiques du territoire.

Affaire à suivre.

Jamil Zéribi