Dans quelques jours, l’absorption de l’Office Public Vallis Habitat par la société privée Grand Delta Habitat sera proposée aux élus du Conseil Départemental. Pour justifier ce choix politique contesté, la Présidente du Département Dominique Santoni a pointé du doigt les défaillances de son Office Public et à contrario, a souligné le sérieux et la rigueur de gestion de Grand Delta Habitat. Cette perception manichéenne est répandue dans la presse locale et dans le microcosme politique Vauclusien. Elle s’est renforcée ces dernières années grâce à l’excellente notation de Grand Delta Habitat par l’agence controversée*, Standard & Poor’s. En 2018, la très officielle Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) a rendu un rapport sans concession sur le bailleur, qui bizarrement est passé totalement inaperçu.
Pour qu’un mariage arrangé se réalise, il faut parfois en rajouter sur les qualités et le charme des prétendants. Pour pondérer un peu l’enthousiasme béat autour de Grand Delta Habitat, voici quelques extraits du dernier rapport de l’Ancols (2018) sur la coopérative Vauclusienne. Un rapport qui pointe de nombreuses irrégularités de gestion.
Si depuis 2018, des améliorations ont été apportées au sein de Grand Delta Habitat, celles-ci seront formalisées dans le prochain rapport très attendu de l’Ancols que nous ne manquerons pas de relayer.
Extraits du dernier rapport de 2018 :
Eléments de synthèse
Grand Delta Habitat est en forte croissance sur les espaces métropolitains et littoraux de PACA. Son parc a progressé de 28 % en cinq ans, et comprend 18 664 logements fin 2017. Son effectif a évolué sur la même période de 306 à 343 ETP (Equivalent Temps Plein), avec un fort renouvellement du personnel et une réorganisation de sa gestion de proximité.
Le département de Vaucluse, berceau de la société, est moins prioritaire dans sa stratégie de croissance. Celle-ci doit s’accompagner d’une réflexion sur l’organisation de la gestion de proximité.
POINTS FORTS :
- Croissance dynamique du parc
- Bonne performance d’exploitation
- Impayés et vacance maîtrisés
- Pilotage d’activité performant
- Occupation sociale (accueil et accompagnement de personnes aux ressources modestes)
POINTS FAIBLES :
- Absence d’association du conseil d’administration (CA) à l’élaboration de certaines orientations
stratégiques
- Acquisition de logements hors objet social (non conventionnés)
- Politique de loyers conduisant à un niveau de loyers élevé par rapport aux références locales
- Maintenance du parc modérée et sans visibilité pluriannuelle
- Coûts de personnel élevés
- Ressources propres en diminution dans les ressources stables
IRRÉGULARITÉS :
- Rapport définitif précédent de l’ANCOLS non transmis au CA
- Irrégularités dans la commande publique
- Obligations non respectées pour l’entretien des chaudières et des ascenseurs ainsi que pour le repérage de l’amiante et du plomb
- Dépassement des loyers maximums fixés dans les conventions APL
- Récupération irrégulière de charges
- Irrégularités dans la gestion de la demande de logement (enregistrement et radiation)
- Fonctionnement et composition de la commission d’attribution des logements (CAL) irréguliers
- Huit attributions irrégulières et non prise en compte des objectifs de logement du public prioritaire
- Non-respect des effectifs minimums réglementaires de gardiennage
- Plan stratégique du patrimoine incomplet
- Calcul de la production immobilisée et informations sur les délais de paiement non conformes
- Absence d’approbation par le CA de l’ensemble des conventions réglementées et prêts au personnel hors du cadre légal
Absence d’association du conseil d’administration (CA) à l’élaboration de certaines orientations stratégiques
La société est présidée depuis le 30 juin 2017 par Michel Gontard, qui avait précédemment assuré la présidence de la société de 2005 au 8 octobre 2014, date à laquelle il avait été remplacé par M. Dominique Taddéi.
La société a récemment changé ses statuts pour se transformer en SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), ce qui a réduit son contrôle effectif par son actionnaire majoritaire ALI (Accompagnement Logement Individualisé).
La transformation en SCIC a permis l’entrée au capital de salariés et de locataires, mais a réduit la proportion des droits de vote d’ALI de 64 % à 35 %. Même s’il conserve une minorité de blocage, la diminution de son pourcentage de droits de vote affaiblit fortement son pouvoir d’actionnaire majoritaire, le dépossédant ainsi de la maîtrise des décisions.
Dans la nouvelle forme juridique adoptée, les droits de vote ne sont pas corrélés à la proportion du capital détenu.
GDH n’est pas concerné par l’obligation de regroupement introduit par la loi ELAN.
En matière de gouvernance, les informations portées à la connaissance du conseil d’administration (CA) sont parfois insuffisantes. Le précédent rapport de contrôle de l’ANCOLS n’a pas été transmis aux administrateurs, ces derniers n’ont pas connaissance des lancements d’opérations immobilières et ne sont pas associés au choix financier de recours à des lignes de crédit importantes.
Le CA doit être associé à la définition de la politique des loyers, et doit notamment définir des plafonds de loyers sur les logements non conventionnés. Ces derniers doivent rester exceptionnels car ne relevant pas de l’objet social de la société. Cette politique de loyer à la relocation, à la hausse ou à la baisse, bien que stratégique, n’a pas fait l’objet d’une délibération du CA.
Le conseil d’administration n’est pas assez associé à l’élaboration de certaines orientations stratégiques. Il n’a en effet pas délibéré sur :
- La politique des loyers (cf. § 3.2.1), qui contribuent à hauteur de 99 % du chiffre d’affaires
- La politique d’attribution (cf. § 4.2.3)
- La politique d’achat (cf. 2.3.3) et la définition des objectifs en matière d’investissement (cf. § 5.1).
Le rapport définitif n°2015-008 de l’ANCOLS n’a pas été communiqué aux administrateurs (non conforme à l’article L. 342-9 du CCH).
Lors de la séance du CA du 24 novembre 2016, il a été fait lecture des éléments du rapport définitif de l’ANCOLS aux administrateurs, mais ce dernier ne leur pas été communiqué. Selon le PV, un administrateur qui en a fait la demande, s’est vu refuser la communication du rapport sous prétexte que la société avait quatre mois pour répondre, délai au-delà duquel le rapport serait disponible aux administrateurs qui le souhaitent.
L’article L. 342-9 du CCH dispose pourtant que le rapport est communiqué au conseil d’administration et soumis à délibération. Par ailleurs, les éléments du rapport relevés dans le PV du CA ne mentionnent pas l’ensemble des constats et irrégularités relevées, et en atténuent la portée en les nommant « dysfonctionnements internes mineurs ». Les membres du CA ont été ainsi privés d’une information complète et transparente.
Maintenance du parc modérée et sans visibilité pluriannuelle
Le niveau de maintenance est en recul par rapport aux médianes du secteur, et certaines résidences visitées nécessitent en effet un effort dans ce sens. Le suivi des contrats d’exploitation et des diagnostics doit être renforcé, s’agissant pour la plupart d’obligation pour la sécurité des biens et des personnes.
La maintenance et les réhabilitations ne sont pas programmées de façon pluriannuelle, ne figurent pas au plan stratégique de patrimoine et ne permettent pas de vérifier la bonne prise en charge de certaines faiblesses constatées (façades dégradées par exemple). L’effort consacré à la maintenance est, de façon constante sur la période examinée et sur les prévisions, inférieur aux médianes sectorielles.
Irrégularités dans la commande publique
Des irrégularités dans les règles de passation et d’attribution des marchés avaient été relevées lors du précédent contrôle, notamment sur des prestations de maîtrise d’œuvre (absence de mise en concurrence) ; la société n’a pas rectifié ses pratiques (non conforme aux ordonnances n° 2005-649 du 6 juin 2005 et n°2015-099 du 23 juillet 2015, et leurs décrets d’application n°2005-1742 du 30 décembre 2005 et n°2016-360 du 27 mars 2016)
Selon les données internes de la société concernant les opérations livrées depuis les cinq dernières années, neuf marchés de maîtrise d’œuvre (hors conception-réalisation) sur vingt-deux, d’un montant supérieur aux seuils européens concernant les marchés de service, et nécessitant des procédures formalisées, ont été passés de gré à gré, en contradiction avec l’un des principes fondamentaux de la commande publique de mise en concurrence ; cette irrégularité peut conduire à l’annulation de la procédure d’attribution
Interrogée plus précisément sur quatre marchés récents sélectionnés, dont trois pour lesquels des procédures formalisées auraient dû être mises en œuvre compte tenu de leur montant, la société n’a pas été en mesure de fournir d’éléments démontrant une mise en concurrence ; la société doit sans délai modifier ses pratiques internes pour se conformer aux règles élémentaires de la commande publique.
Dépassement des loyers maximums fixés dans les conventions APL
La politique de loyers mise en œuvre conduit à des niveaux de loyers pratiqués supérieurs aux références locales du parc social. La société a régularisé pendant le contrôle les majorations indues des loyers PLUS majoré, mais continue de facturer des surfaces différentes de celles figurant dans les conventions APL, ce qui conduit à des dépassements de loyers.
Près de deux tiers des loyers pratiqués par GDH (63,8 %) dépassent les loyers plafonds pris en compte pour le calcul des aides au logement, contre moins de la moitié au niveau régional (47,1 %). Selon les données de la caisse d’allocation familiale de Vaucluse au 31 décembre 2017, 78 % des allocataires sont en effet dans ce cas de figure. Pour ces locataires disposant de faibles ressources (cf. § 4.1), le reste à charge, une fois les aides déduites, peut ainsi s’avérer important.
Même si GDH joue un rôle social, les loyers apparaissent globalement élevés et peu accessibles aux plus défavorisés. Cela résulte notamment d’une politique d’augmentation des loyers lors des réhabilitations réalisées ces dernières années.
Au regard de son objet social, du financement public dont elle bénéficie, et de la mission d’intérêt général qui lui est confiée, la société doit fixer des plafonds de ressources et de loyers applicables aux logements financés sur fonds propres. Cette observation avait déjà été formulée lors du dernier contrôle. Dans sa réponse la société s’engage à intégrer des plafonds de loyer sur ces logements dans la délibération annuelle du CA sur les loyers pratiqués, mais conteste l’obligation de fixer des plafonds de ressources. L’ANCOLS maintient sa demande au regard des éléments précités (objet social, financement public, mission d’intérêt général).
Obligations non respectées pour l’entretien des chaudières et des ascenseurs ainsi que pour le repérage de l’amiante et du plomb
Grand Delta Habitat n’est toujours pas à jour de ses obligations en matière de repérage d’amiante et constitution des dossiers amiante-parties privatives (non conforme aux articles R. 1334-14 et suivants du code de la santé publique).
Les dépenses de maintenance se situent entre 517 et 586 euros par logement, soit des niveaux inférieurs de 12 à 26 % aux valeurs de référence. Sur les cinq exercices examinés, les montants consacrés à la maintenance par GDH s’élèvent à 47,4 millions d’euros, à comparer à 55,1 millions d’euros en se basant sur les valeurs de référence.
L’ANCOLS a procédé à l’analyse par échantillonnage ciblé de bons de visites d’entretien des chaudières individuelles au gaz concernant neuf résidences de l’agence de Nîmes. Pour 13 logements, les visites n’ont pas été réalisées plus de deux années consécutives (cf. annexe n°7.11). Cette analyse n’est pas exhaustive. L’absence de la vérification annuelle constitue une source de risques pour la sécurité des biens et des personnes qui engage pénalement la responsabilité des dirigeants de la société.
Ressources propres en diminution dans les ressources stables
Bilanciellement, la situation est correcte, mais la part des ressources propres diminue au sein des ressources stables. Le recours important aux lignes de crédit est lié à la volonté de la société de se développer rapidement ; néanmoins, une maîtrise de la trésorerie globale doit être trouvée à moyen terme.
La performance d’exploitation, mesurée par l’excédent brut d’exploitation, est bonne ; les coûts de personnel sont à surveiller. La dette locative est importante ; la capacité de désendettement s’éloigne des médianes de la profession et la société a choisi de recourir massivement à des lignes de crédit avant de mobiliser les emprunts définitifs ; une situation de cadrage de ce recours doit être définie par la gouvernance.
Jamil Zéribi
*En 2015, afin d’éviter un procès, Standard and Poor’s a accepté de payer une amende de 1,37 milliard de dollars aux autorités américaines pour avoir trompé les investisseurs sur la qualité des crédits immobiliers dits « subprime ». Les conséquences de cette crise ont été désastreuses. Le Fonds Monétaire International (FMI) a évalué le coût total de la crise financière à 945 milliards de dollars.