De grandes manœuvres se dessinent dans l’alimentaire avec l’appétit InVivo qui souhaite se rapprocher du numéro un national de la boulangerie basé à Châteaurenard. Depuis toujours, les acteurs agricoles de la vallée du Rhône résistent aux géants coopératifs de l’agrobusiness. 

Dans son siège de l’Avenue de la Grande Armée à Paris, le groupe coopératif InVivo, un des leaders français des céréales, multiplie les réunions secrètes avec Marie Blachère d’après notre confrère La Lettre. Voilà déjà plusieurs années que le leader européen du blé et le leader des boulangeries de proximité se tournent autour. Le groupe coopératif pèse 12,4 Md€ de chiffre d’affaires, les 783 boulangeries Marie Blachère, 1,1 Md€. InVivo possède déjà Terract, une filiale propriétaire de Boulangerie Louise avec 130 points de vente dans les Hauts-de-France. Lors du rachat, Terract l’avait emporté face à Stéphane Courbit (LOV Group), propriétaire de 35% de Ange, numéro 2 français de la Boulangerie. Ce groupe possède déjà Banijay, Ladurée et les boulangeries Liberté. 

Leader de la boulangerie

Inconnu il y a 20 ans, Marie Blachère, emploie 12 000 personnes. Le réseau de « boulangeries des ronds-points » est devenu aujourd’hui la troisième chaîne de restauration rapide en France derrière McDonald’s et Burger King. À l’origine, Bernard Blachère, 66 ans, né à Lachapelle-sous-Aubenas en Ardèche qui, de fil en aiguilles, crée et gère plus de 200 magasins Provenc’Halles au tournant du siècle. En 2004, Bernard Blachère décide d’ouvrir une boulangerie à Salon-de-Provence, appelée du nom de sa fille. Après un premier échec, le grossiste en fruits et légumes affine une formule de boulangerie et snacking stratégiquement positionnée sur le trajet domicile travail à l’heure où les Français délaissent les courses du samedi en hypermarchés. En 2008, le créateur de Provenc’Halles s’allie à son concurrent, le Lyonnais Grand Frais. Une boulangerie Marie Blachère s’implantera à côté de chaque Grand Frais. En échange, Provenc’Halles ne marchera pas sur ses platebandes.

Numéro 1 des céréales

De son côté, InVivo regroupe 188 coopératives. Ce mastodonte souhaite développer ses activités dans le commerce de détail. La coopérative dispose déjà des réseaux de 1 600 magasins Gamm Vert, Jardiland, Delbard. Son dirigeant Thierry Blandinières veut développer un modèle « de la moisson à la maison », fort de son rachat en 2021 du groupe familial français Soufflet pour près de 2 Md€ qui réalisait 4,9 Md€ de CA. Juste avant, Jean-Michel Soufflet avait repris Neuhauser, spécialiste allemand (en difficultés) du pain congelé pour terminaux de cuisson qui compte une usine à Aubignan. Soufflet dispose, dans le Vaucluse, de nombreux points de vente de fournitures agricoles, pour paysagistes et la filière viti-œno (Beaumes-de-Venise). Thierry Blandinières compte développer une nouvelle forme de magasins de proximité. Teract dispose d’une capacité d’investissement proche des 100 millions d’euros, pour développer notamment « Grand Marché – Frais d’ici ». Ce nouveau concept de points de vente se veut un débouché pour les activités de ses coopérateurs d’InVivo avec « une vitrine pour les produits bio, locaux et durables, pour les agriculteurs qui veulent faire bouger les lignes », selon Thierry Blandinières. Le dirigeant compte s’appuyer sur les implantations de Gamm Vert, Jardiland pour diffuser sa nouvelle formule.

Provence indépendante

La vallée du Rhône résiste à l’ogre InVivo. Propriétaire dans le vin de Vinadeis, Cordier, Mestrezat Grands Crus et Café de Paris, Thierry Blandinières a échoué à reprendre le Cellier des Dauphins à Tullette union de coopératives, premier embouteilleur en vallée du Rhône (66 M€). Dans la région viticole, InVivo ne gère que l’export de la cave de Roquemaure. Outre le Cellier des Princes, la coopération locale reste solidement structurée autour de la CAPL (Coopérative agricole Provence Languedoc, 150 M€ de chiffre d’affaires). Cette organisation, implantée sur Avignon depuis 1884, qui a quitté InVivo en 2021, gagne du terrain. En décembre 2020, la CAPL, forte de 12 000 adhérents, reprenait la cave de Sablet (Le Gravillas) en perte de vitesse, y injectait 2 M€ en trésorerie et 2,2 M€ en investissement. Un an plus tôt, la CAPL sauvait l’usine de transformation de tomates Tarascon (13) à la barre du tribunal de Commerce. Au bout de 10 ans d’activités, cette structure cumulait 12 M€ de pertes et 30 M€ de dettes. Le 12 mai 2024, la CAPL fusionnait avec la cave de Gigondas (6 M€). Cette coopérative s’affiche comme le premier opérateur dans le blé dans le Vaucluse. La CAPL s’est également diversifiée dans les hautes technologies de produits BtoB et BtoC de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de nutrition, de la pharmaceutique, de la cosmétique et des arômes. 

La guerre du pain

La filière connait des concentrations. Les boulangeries Ange, deuxième réseau national, possèdent 265 magasins et réalisent 340 M€ de chiffre d’affaires. Nées à Villefranche-de-Rouergue en Aveyron, les boulangeries la Panetière disposent de plus de 200 magasins et 1300 collaborateurs dans le Sud-Ouest. Deux autres chaînes de boulangeries se développent dans le Nord : les boulangeries Louise (130 magasins) et les boulangeries Sophie Lebreuilly (60 magasins). À Châteaurenard, Bernard Blachère et ses deux enfants (dont Marie) sont en position de force pour négocier. D’après nos confrères parisiens, si rien n’est signé, les deux groupes travaillent « déjà sur l’harmonisation des recettes commerciales, les processus de fabrication des pains et surtout le rôle de chaque marque. Marie Blachère pourrait devenir la seule et unique reine des ronds-points. Boulangerie Louise, qui a ouvert en août sur les Champs-Élysées, pourrait s’épanouir dans les centres-villes ». La France compte 33 000 boulangeries dont une grande partie alimentée par Soufflet (Baguépi). Le secteur ne cesse de se concentrer.

Emmanuel Brugvin

 

Crédit Photo : Emmanuel Brugvin

Légende photo : La boulangerie-snacking Marie Blachère d’Avignon partage son bâtiment avec magasin de fruits et légumes anciennement Provenc’Halles, rebaptisé Mangeons Frais dans version simplifiée et économique avec de linéaires sur palette. 

InVivo en chiffres :   

12,4 Md€ de chiffre d’affaires, 

335 millions d’euros d’Ebitda,

13 000 collaborateurs, bientôt 14 000, 

Effectifs : croissance de 70 à 80 % en cinq ans