L’organisme HLM Vallis Habitat qui gère la moitié du logement social dans le département, voit arriver un nouveau directeur. Pourra-t-il sauver cette structure qui cumule mal-logement, misère sociale, difficultés financières, absentéisme et méfiance des élus ?
En novembre, à l’occasion de la dernière assemblée générale de l’association des maires du Vaucluse, Dominique Santoni, Présidente du Conseil départemental, avait prévenu : « Il y aura du changement chez Vallis Habitat ». La réponse officielle est arrivée en février dernier avec la nomination de Lucas Beaujolin (photo ci-contre), directeur commercial de Grand Delta Habitat (GDH) depuis 5 ans. Cet urbaniste de 33 ans a gravi les échelons chez l’autre grand bailleur social du département dont la qualité de gestion (21 000 logements) a été saluée par Standard & Poor’s.
Un contexte difficile
Cet homme formé à l’école d’urbanisme de Paris, puis à l’EM Lyon Business School sur le management des organisations, jusqu’alors membre du comité de direction de GDH, se retrouve à la tête de 287 collaborateurs chargés de gérer 15 914 logements essentiellement dans le Vaucluse (46 % du patrimoine social du département, 6,43 % de la population) et dans une dizaine de résidences dans le Gard et dans les Bouches-du- Rhône.
Son plan d’action, qu’il ne veut pas annoncer avant le mois de juin, ne pourra être qu’ambitieux pour ce technicien qui succède à une suite de directeurs souvent issus du milieu politique local. Etat des lieux : Vallis Habitat, société publique de logement social, qui dépend du département, cumule les mécontentements de ses locataires, de certains maires mais aussi de nombreux employés.
Locataires en colère
En 2018, Michel Fréchet, président national de la Confédération générale du logement (CGL), une association qui lutte pour le droit à un logement digne, en visite dans les quartiers d’Orange, Cavaillon, Avignon et surtout des 432 logements du Pous du Plan à Carpentras, affirmait « j’ai rarement vu un patrimoine immobilier si mal entretenu lors de mes déplacements, et pourtant je bouge beaucoup. J’ai vu des balcons et des murs qui vont sans doute finir par s’écrouler, c’est très dangereux. Ce n’est pas possible de loger des gens dans des conditions pareilles », confiait-il à la Provence.
Régulièrement, les résidents expriment leur mécontentement, en vain. En 2020, les locataires de Cavaillon, de Carpentras, d’Avignon allaient jusqu’à manifester ensemble, photos et vidéos de leurs logements à l’appui, devant le siège de la société d’HLM, boulevard Saint Michel à Avignon, pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de vie. À Orange, 114 des logements la cité de l’Aygues, murés et parfois brûlés, attendent depuis 28 ans leur démolition dans le cadre du projet de renouvellement urbain, pourtant d’intérêt régional.
Concentration de la pauvreté
Les quartiers les plus dégradés du département, qui font la une des faits divers à Orange, Avignon, Carpentras et surtout la cité du Docteur Ayme à Cavaillon, appartiennent à Vallis Habitat. La Cité cavare bénéficie de renforts de police supplémentaires après des règlements de comptes à l’arme de guerre de ces derniers mois sur fonds de points de deals.
Les maires qui tentent de reconstruire leur ville pour corriger les erreurs d’urbanisme du passé, se retrouvent dans des situations inextricables face à un habitat dégradé qui concentre tous les problèmes sociaux et un bailleur social inefficace. Les élus locaux que nous avons contacté, qui ont oeuvré à la construction de logements sociaux sur leur commune, bravant la réticence de leurs administrés renâclent désormais à accueillir des projets de Vallis Habitat.
Personnel à l’arrêt
Chez les employés, 4 cadres des plus importants sont en arrêt maladie dont 3 depuis plusieurs mois voire une année. La médecine du travail a fait parvenir plusieurs courriers à la direction qui font état de salariés qui présentent « un état de souffrance et d’épuisement psychique et physique ».
Certains salariés parlent de maltraitance au travail par des cadres intermédiaires qui, pourtant, gravissent les échelons. Suite à un comité social et économique (CSE) extraordinaire sur le sujet, reporté maintes fois par son prédécesseur, Lucas Beaujolin commence à auditionner les salariés prêts à s’exprimer.
Errements politiques
Cet organisme de logement social, le plus ancien du département, qui a construit les premiers HLM rue Sainte-Catherine à Montfavet dès les années 30, fait l’objet d’enjeux politiques depuis des décennies. Alain Dufaut ancien sénateur, en fut Président alors que le Conseil départemental était à droite.
À l’arrivée de la gauche en 2001, le département nomma Michèle Fournier-Armand conseillère générale PS, devenue députée, Présidente de l’office.
Sa gestion fut dénoncée par la Miilos (Mission interministérielle d’inspection du logement social) aujourd’hui remplacée par l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS). Le rapport de la Miilos évoquait alors « un entretien dégradé d’une grande partie des immeubles, sites à l’abandon, masse salariale élevée, qualité de service insuffisante pour les locataires, gestion présentant de nombreuses défaillances et irrégularités. »
Passons sur l’épisode du directeur nommé en 2008, Lucien Stanzione, qui occupe le mandat de sénateur PS du Vaucluse aujourd’hui. Ce dernier avait annoncé son départ à la retraite en 2012 et fut remplacé par Benoît Montini. Quelques mois plus tard, on découvrit qu’il faisait toujours partie des effectifs et était payé. Là encore, la Miilos avait apporté de grandes réserves sur l’effectivité de sa tâche durant cette période.
Pour revenir à l’actualité, Anticor vient d’obtenir une enquête de la procureur de la République. En effet, l’association de lutte contre la corruption des élus a effectué un signalement sur « des soupçons de détournement de fonds et de prise illégale d’intérêt » concernant Madame Testut Robert, Présidente de Vallis habitat et vice-présidente du conseil départemental. Comment le directeur pourra-t-il conduire sa mission avec une Présidente fragilisée ?
Récente fusion à digérer
Le département repasse à droite en 2016. Jean- Baptiste Blanc, vice-président du conseil départemental, toujours en poste, devient Président de Mistral Habitat. Actif en politique depuis son plus jeune âge, ce cavaillonnais nomme Philippe Brunet-Debaines comme directeur. Loin d’être un technicien du logement social, cet ancien attaché parlementaire a effectué une grande partie de sa carrière auprès des caciques de la droite vauclusienne comme Alain Dufaut dès les années 90.
Comme ses prédécesseurs, à chaque cérémonie des voeux de début d’année, le directeur a annoncé des plans de rénovation et des chiffres de nouveaux logements (1 600 logements en 10 ans) qui peinent à voir le jour. Pour répondre à la loi (Elan) sur la concentration des offices publics, début 2020, Jean-Baptiste Blanc à la tête de Mistral Habitat conduit l’absorption de Grand Avignon Résidences, piloté jusqu’alors par la communauté d’agglomération. Mistral Habitat et Grand Avignon Résidences seront rebaptisées Vallis Habitat.
Avant de succéder comme sénateur à Alain Dufaut, Jean-Baptiste Blanc avait assuré la paix sociale avec un alignement des salaires entre les deux tructures et donné pour mission à son directeur « de fondre les équipes des deux anciennes organisations autour de projets objectivés par des critères de performance » ! Des cadres nous confient surtout ses qualités d’immobilisme pour maintenir une fragile paix sociale en interne. Aujourd’hui, les syndicats échaudés n’excluent pas une grève d’ampleur.
Engagements à respecter
Dans cet environnement dégradé, Lucas Beaujolin doit respecter les engagements de sa structure signés avec l’État sur 10 ans : réaliser une intervention de fond sur ses 4 500 logements les plus sensibles dont une partie en périmètre de la rénovation urbaine. Dans le cadre du NPRU, 900 doivent être démolis à Avignon avec des résidents qu’il faut reloger décemment. « Mais ça fait très longtemps qu’il n’y a plus un sous dans les caisses », nous confie un cadre en interne. La mission de Lucas Beaujolin s’avère titanesque.
La responsabilité du Département de Vaucluse
On l’a vu tout au long de cette enquête, le dossier Vallis Habitat est éminemment politique et la Présidente du Département, Dominique Santoni (photo ci-contre – Crédit CD84 Presse) va devoir clarifier sa stratégie car en réalité, au-delà du directeur, c’est bien l’institution départementale qui fixe le cap.
Comme disait un célèbre Président de la République, « je décide, il exécute » en parlant de son Premier Ministre. Et en l’occurrence, certains observateurs avisés voient déjà dans la nomination de Lucas Beaujolin un axe qui se dessine. En effet, pour ces derniers, la volonté du Département serait de se séparer à moyen terme de Vallis Habitat et de le céder à Grand Delta Habitat. Le choix du jeune Lucas Beaujolin, très proche de Xavier Sordelet, directeur de Grand Delta Habitat, ne serait donc pas si anodin…
Dans tous les cas, le Département devra répondre aux exigences des élus qui souhaitent que le bailleur investisse dans leur commune ou village, pour réhabiliter et/ ou construire. La difficulté opérationnelle de Vallis Habitat est de répondre à ces nombreuses demandes, de respecter ses engagements avec l’Etat, tout en maintenant son équilibre financier.
Laurence Cermolacce : « Les locataires restent vigilants »
Représentante des locataires via Confédération nationale du logement (CNL), majoritaire chez Vallis Habitat :
« Nous avons à faire à un organisme qui n’a pas été géré depuis des décennies, au parc très ancien parfois jamais entretenu, aux recrutements successifs très politiques, où la moitié du personnel est fonctionnaire. Nous ne savons rien des intentions de la nouvelle direction. Nous souhaitons que, dans un environnement statutaire comparable, sa stratégie n’implique pas un management du changement comme aux heures noires de France télécom pour se séparer d’une partie du personnel.
Nous restons très vigilants à tout projet de modification de statut de la structure vers une forme juridique privée, certes plus souple à gérer, mais qui ne répondrait plus aux ambitions de service public. Nous sommes également très attentifs à une solution de démantèlement du parc qui cèderait les meilleurs logements à d’autres bailleurs sociaux et ne laisserait à la structure départementale que la gestion des cités à problèmes, renflouées à grands budgets publics de rénovation à fonds perdus comme c’est le cas depuis des années, sans s’attaquer aux problèmes de fond de pauvreté et d’urbanisme. Enfin, lors des démolitions prévues sur Avignon pour dédensifier le logement social et gentrifier des « écoquartiers », nous ne voulons pas que les familles à problèmes soient relogées dans les résidences paisibles de Vallis Habitat des petites villes alentours ».
Dans le cadre de la préparation de ce dossier, nous avons contacté les responsables de Vallis Habitat qui n’ont pas donné suite à notre demande d’interview.