ENQUÊTE : Le quartier de la gare TGV sensé projeter l’aire avignonnaise dans la modernité du XXIème siècle depuis plus de 20 ans est toujours au point mort. Que se passe-t-il ? Le dernier soubresaut des élus communautaires changera-t-il la donne avec la mise en place encore d’une nouvelle structure d’aménagement publique ?
À l’été 2001, le premier TGV reliant Avignon à Paris en 2 heures 40 s’arrêtait en Courtine augurant, pour le Vaucluse, une nouvelle aire de développement économique à quelques encablures des trois plus grandes villes de France que sont Paris, Lyon et Marseille. En prévision de l’événement, dès 1994, la ville d’Avignon, le Département, la chambre de commerce et d’industrie, la Caisse des Dépôts et Consignations fondaient la Société d’Aménagement de la Gare du Grand Avignon (SAGGA) pour préparer cet avenir radieux. Un quart de siècle plus tard, le quartier fait peine à voir.
En lieu et place de bâtiments accueillant des entreprises d’exception, le pôle « d’excellence » compte une maison de retraite, une résidence hotellière, un hôtel qui a mainte fois changé d’enseigne faute de trouver son public, un immeuble de bureaux, une salle de ventes aux enchères, une agence d’intérim, une résidence étudiante, une salle d’opéra provisoire en préfabriqués aujourd’hui à la vente. Certes un nouvel immeuble tertiaire se construit, mais c’est pour regrouper différents services de la CAF existants dispersés dans le département.
Nous sommes très loin du développement, dans le même temps, de la Duranne, nouveau poumon économique des Bouches-du-Rhône près d’Aix- TGV. Le Pôle d’Activités d’Aix-en-Provence (PAAP) compte sur 500 hectares, 1 466 entreprises employant 29 472 collaborateurs. En comparaison, le Grand Avignon lance timidement un appel à promoteurs pour réaliser un immeuble tertiaire d’au moins 3 500 m2. Espérons qu’il séduise un investisseur.
Ambitieux projets successifs
Depuis le début, la société d’économie mixte Citadis, bras armé du département et de la ville d’Avignon, devait développer la zone. Dans la décennie 2 000, Pitch Promotion devait réaliser « City Sud », un ensemble de 18 500 m2 de bureaux répartis dans 6 immeubles, ainsi que 20 000 m2 de commerces dédiés à la famille et la culture, avec des restaurants à thème et des salles de cinéma. De guerre lasse, le promoteur jetait l’éponge notamment, quand pour des raisons électorales, la candidate sortante aux municipales Marie-Josée Roig abandonna le transfert du multiplexe cinématographique de Cap-Sud sur Courtine.
En 2012, Le Grand Avignon demande à Citadis un nouveau projet à Jean-Louis Subileau du cabinet Une Fabrique de la Ville, spécialiste des projets urbains complexes. L’équipe parisienne conçoit alors un écoquartier sur Courtine IV face à la gare de 1784 300 m2 de surface de plancher dont 40 000 m2 de logements. Comme le précédent, le projet fit long feu. Les iconographies du dossier avorté servent toujours dans les présentations des salons professionnels pour un quartier rebaptisé, depuis, Avignon-Confluence pour tirer profit de l’image de la réussite lyonnaise du quartier Confluence.
Le projet catalan
Jamais avares de visions grandioses achetées à des prestataires, nos élus jettent les précédentes études au panier et remettent le couvert en faisant appel en 2018 à un architecte-urbaniste Joan Busquets. Ce catalan, comme l’était le médiatique Ricardo Bofill qui relança l’urbanisme de Montpellier il y a déjà 43 ans, sous la houlette de l’iconique maire feu Georges Frèche, propose un ambitieux projet de « macro-ilots » sur 100 ha autour de boulevards urbains aux circulations douces avec 7 000 habitants à la clé. Début des travaux : 2020. À ce jour, toujours rien sur ces 200 ha stratégiques dont 30 ha constructibles libérés de toutes contraintes d’inondation depuis 2006.
Quid de 2022
Alors quid de 2022 ? Les élus communautaires ont relancé en mars 2021, avec ceux d’Avignon, la Société publique locale (SPL) Grand Avignon Aménagement chargée de développer la zone. Exit Citadis qui n’a plus, malgré 60 ans d’hégémonie sur l’aménagement local, la main sur le dossier. La SEM n’avait même plus de direction officielle depuis octobre 2020 ! Que fera Dominique Santoni, la nouvelle présidente du Département qui vient de prendre celle de la SEM ainsi que la direction générale.
De son côté Grand Avignon pourvoira le poste de direction de sa propre SPL officiellement dès le début 2022. La personne désignée compte travailler, tout d’abord, sur « une mission de préfiguration ». Au panier toutes les coûteuses études réalisées depuis 1994 ! Le Grand Avignon ne communique même pas sur cette création de poste. Sollicités par notre rédaction, ses élus font répondre par leurs services qu’il est encore trop prématuré pour parler de l’avenir de cette zone.
Confluence végète depuis près de 30 ans !
Quelle vision ?
Le député Jean-François Cesarini, décédé en mars 2020, aimait à rappeler à Jean-Marc Roubaud, président du Grand Avignon, qui a démissionné sans crier gare (Gard) depuis, que cette vision du développement économique par le foncier fréquente au XXème siècle ne correspondait pas aux attentes de l’économie numérique d’aujourd’hui. Les dernières études montrent que 81% du PIB de la France se concentre sur 15 métropoles (contre 51% en Europe). Et plus de 60% sur les 8 premières. Avignon, n’en fait pas partie. Pis, le Vaucluse est le cinquième département le plus pauvre de France aujourd’hui.
Or, les élus des villes comme Paris, Nantes, Rennes ou Toulouse ont su créer des écosystèmes spécialisés où les centres de formation et d’enseignement aident des porteurs de projets qui bénéficient d’accompagnement dans des couveuses et de pépinières d’entreprises, d’investisseurs prêts à miser sur leurs idées d’avenir, qui s’appuient sur des centres de recherche et développement ainsi que de juristes spécialistes de propriété intellectuelle et de commerciaux capables de défendre et de promouvoir l’innovation.
L’Agroalimentaire
Le Vaucluse dispose d’un tel écosystème autour de l’alimentation avec l’Inra, l’Isara (école de commerce), le CTCPA (R&D), Agrosciences (universités), le CERI (informatique universitaire), le CTCPA (centre de R&D agroalimentaire), Innov’Alliance (pôle de compétitivité), Aria Sud (organisation patronale), IFRIA (centre de formation des métiers de l’alimentation), le CRITT IAA (transfert de technologies), la plus grande pépinière d’entreprises de Paca…
Mais depuis les années 80 et la création du Technopole Agroparc, alors que l’économie du maraichage s’effondrait dans le Midi de la France, aucune personnalité politique visionnaire n’est sortie du lot pour fédérer une grande action collective de développement. Pis, les élus, pour en reprendre le pouvoir, ont sacrifié l’association Agroparc de gestion du Technopole existante sur fond de puérils règlements de compte personnels dont le Vaucluse est expert.
Les forces vives sont, pour la plupart, soumises à un rôle de quémandeurs d’autorisations et de subventions à des collectivités locales divisées pour faire émerger un quelconque projet. A titre de comparaison, Only Lyon (Aderly) fédère une cinquantaine d’acteurs depuis 1974 avec 30 collaborateurs.
Grand Avignon à la manœuvre
La balle est dans le camp du Grand Avignon. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont les seuls compétents juridiquement depuis janvier 2016 (avec les régions) pour traiter le volet du développement économique. Son pouvoir politique reste faible dans un département atomisé en 13 EPCI, un record en France, où chaque micro-potentat local veille jalousement à ses prérogatives. Le Conseil départemental de Vaucluse qui a conservé, depuis, toutes ses équipes vouées à la promotion « du tourisme et du territoire » au sein de Vaucluse Provence Attractivité, n’est pas compétent dans le domaine. La future « étude de préfiguration » de la nouvelle structure Grand Avignon Aménagement, est fort attendue.
Pôle multimodal, encore un projet abandonné
Concernant une filière de développement local, les élus avaient misé sur la valorisation de la logistique. Encore un projet abandonné par manque de vision globale.
Autre rendez-vous raté, la création d’un pôle multimodal route, fer et fluvial. La chambre de commerce, dans les dernières années où elle disposait encore des ressources humaines pour conceptualiser des projets, avait réalisé une étude pour une structuration logistique d’ampleur. Courtine permet de réaliser, sur le Rhône, un terminal conteneurs pour transborder des boites du fleuve à terre, et les acheminer au terminal rail-route tout proche par une voie ferrée aujourd’hui désaffectée. Avignon pouvait devenir une base arrière du port de Marseille-Fos, à l’instar des cités fluviales en amont de Rotterdam.
L’histoire montre que la grande majorité des villes les plus prospères dans le monde sont des ports. Mais les municipalités successives à Avignon ont été incapables de construire la LEO et notamment s’entendre avec la SNCF dans les années 90 pour réaliser un pont commun sur le Rhône. Le maire d’Avignon d’alors, Guy Ravier, sollicité par la SNCF, n’avait même pas voulu mettre un copeck dans la future gare TGV. Depuis, par manque d’infrastructures, ses successeurs refusent ce projet logistique qui générerait encore plus de nuisances pour leurs administrés sur la rocade. Deux ponts sur trois manquent à la réalisation de la déviation.
Dix ans après l’ouverture du pont aval sur Durance, le préfet de Région relance la création de la phase II de la LEO avec le pont amont sur le fleuve (142,7 M€). Mais les compétences manquent. Les services préfectoraux du Vaucluse ont été récemment vertement vilipendés par l’Autorité environnementale (AE) du ministère de la Transition écologique pour leurs travaux « obsolètes », « non actualisés », « datant d’une vingtaine d’années » ou « réalisés au travers de travaux disparates ».
Quant au pont sur le Rhône, ce barreau est-ouest essentiel attendra des décennies meilleures.
Emmanuel Brugvin
Crédit photo : Emmanuel Brugvin