Dans un rapport sorti début janvier, la chambre régionale des Comptes dénonce une gestion catastrophique des Chorégies d’Orange par la Région Sud, une situation qui perdure depuis 2018.
La chambre régionale des Comptes épingle sévèrement la gestion des Chorégies d’Orange (sur la période de 2013 à 2021) et son principal financeur, le Conseil régional. Depuis sa création en 1869 et sa renaissance en 1971, ce festival lyrique de réputation internationale, qui magnifie l’opéra dans le théâtre antique d’Orange, assurait l’essentiel de ses recettes avec la vente de billets (78,8% en 2017). Les subventions, notamment de l’Etat (40%), assuraient l’équilibre financier.
Or, en 2018, avec 57,6% de recettes de billetterie, ses comptes virent au rouge écarlate. Pour éviter la cessation de paiement d’un des plus beaux festivals du Sud de la France, la Région débarque en pompier et couvre le passif avec un chèque de 2,6 M€. Le gestionnaire d’alors, l’association des Amis des Chorégies d’Orange, transfère la structure à une société publique locale (SPL) créée spécifiquement par la Région, plus sûre, en principe, dans la sécurisation de l’argent public. Mais de sécurité du bon usage de nos impôts, il n’en fut pas le cas. La chambre régionale des Comptes relève un cumul de graves irrégularités.
Absence de vision stratégique
Selon son rapport, la SPL a été créée dans la précipitation « sans réflexion préalable ». La société ne dispose d’aucun document stratégique exigé par le droit public. Tous les contributeurs (et actionnaires) publics n’effectuent pas un suivi et un contrôle strict des sommes versées. « Les collectivités locales font un usage particulièrement limité de leur pouvoir d’incitation au travers de conventions dépourvues d’objectif. Le festival fait l’objet de réflexions nombreuses, d’aspirations diverses, complémentaires ou contradictoires ». En raison de la position majoritaire de la Région dans le capital de la SPL, la gouvernance n’est plus « équilibrée ». Les autres partenaires ne s’investissent plus ou peu dans la gestion.
Peu de retour sur investissement
Pire encore, l’investissement de la Région apparaît « modeste » avec une « absence de conviction » quant à la recherche de retour sur investissement sur l’économie locale. La SPL ne recherche pas assez de partenariats avec d’autres acteurs du territoire. La chambre régionale des Comptes s’avère surprise par l’absence de volonté dans la promotion du festival désormais régionalisé. « Son insertion dans son contexte économique et touristique paraît indispensable ». Pourtant, la chambre régionale souligne « une attention particulière du cabinet du président de région (Renaud Muselier) lorsque celui-ci assumait directement la présidence de la SPL ». Les responsabilités sont établies.
En résumé, ce bateau ivre « dépourvu de document stratégique », carburé à la subvention publique, ne dispose pas d’une vision claire. « Il n’y a point de vent favorable pour celui qui ne sait dans quel port il veut arriver », disait Sénèque, contemporain de la construction du grand mur d’Orange au premier siècle avant JC, espace de spectacle exceptionnel classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Gestion modeste
Seul bon point décerné à la SPL, les frais de fonctionnement de l’équipe de permanents restent frugaux. Revers de la médaille, ce peu de personnel éprouve des difficultés « en matière de sécurisation des principaux actes de gestion, notamment les opérations de caisse exercées par un agent non habilité sans processus de contrôle, ni de supervision ». Voilà pour les recettes. Quant aux achats, la SPL n’applique par les règles obligatoires de la commande publique et les procédures de passation d’appels d’offres. En termes convenus, la chambre insiste sur ces « zones de risques qu’il convient de résorber rapidement » auxquelles elle ajoute la surestimation systématique des recettes.
Gouvernance quasi inexistante
Une belle patate chaude pour Richard Guy, qui succède à Renaud Muselier en septembre, président de région à la tête de la SPL depuis sa création. Ce conseiller régional, président de la commission Rayonnement culturel, médecin généraliste et maire de Mougins, siège aux côtés de deux autres élus régionaux, vauclusiens cette fois : Bénédicte Martin, nouvellement nommée, et Michel Bissière. Ce conseiller régional délégué à la Création artistique, renouvelé dans son mandat, présent depuis 2018, représentait Renaud Muselier, sur place. La chambre régionale intime le docteur azuréen d’élaborer de toute urgence un plan stratégique avec l’ensemble des actionnaires, de mettre en place des procédures de sécurisation des flux financier, lisibles, tracés et contrôlés, ainsi que des procédures d’achats conformes aux règles de commande publique.
Redressement fiscal de 87 650 €
Difficile de concevoir qu’un Conseil régional ait pu passer au travers de ses obligations légales et de probité les plus basiques. D’autant plus que ce festival disposait d’un budget conséquent de 5,4 M€ en 2017, en croissance régulière (4,3 M€ en 2013). La vigilance était de mise. De plus, la Région triple son financement annuel qui passe de 244 858 € en 2018 à 734 574 € l’année suivante. L’Etat (450 000 €) et le Département (56 000 € en 2019) restent quasiment au même niveau de soutien. Preuve de cette gestion digne des Pieds nickelés, l’apport d’argent frais lors de l’exercice 2018 de l’association lui génère un bénéfice taxable et taxé via un redressement fiscal de 87 650 € ! Aucune remise gracieuse n’est pourtant formulée. Et tout est à l’avenant. Par exemple, sa gestion hasardeuse n’a pas respecté, en 2013, les règles de sa police d’assurances pour couvrir financièrement l’annulation d’un opéra par manque de vente de billets. L’association finissant l’année avec un trou de 1,16 M€ ! La chambre souligne en mots convenus un manque total d’anticipation.
Irrégularités fiscales
Règle de droit public : une SPL ne peut délivrer de reçus fiscaux à des mécènes. Ces derniers ne peuvent, alors, pas défiscaliser leurs dons aux Chorégies depuis 2018. Difficile alors de solliciter de généreux donateurs privés. La plupart des dons se sont évaporés passant de 250 000 € à 60 000 € certaines années. Pourtant, la SPL demande confirmation de la règle au fisc (rescrit). Celui-ci met près d’un an pour lui confirmer l’interdiction en 2019. Mais aucune décision n’est prise depuis. La Région étudie toujours un changement de statut. Sa transformation en Établissement public de coopération culturelle (EPCC) l’autoriserait à remettre des « reçus fiscaux ». En attendant, l’association des Amis des Chorégies d’Orange perçoit les dons, émet des reçus fiscaux et reverse les sommes à la SPL. Une manœuvre soulignée comme totalement illégale par la chambre régionale.
Choix artistiques contestés
Longtemps directeur des Chorégies, Raymond Duffaut, avant d’être débarqué en 2016, avait mis en place une programmation de deux opéras les plus célèbres joués deux fois pour remplir et rentabiliser l’importante jauge du théâtre antique et des concerts symphoniques moins coûteux. A raison, en 2013, la programmation financière d’une œuvre moins célèbre fut une catastrophe financière. Depuis 2012, Raymond Duffaut faisait publiquement écho de la fragilité financière du festival qui cumula, par la suite, plusieurs années déficitaires.
Rajeunissement de la programmation
Mais depuis son départ, pas de changement stratégique en vue. A force de voir les mêmes affiches, la chambre régionale soupçonne une certaine lassitude du public. Les ressources propres atteignent 61,67% en 2019 pour chuter à 57,08% en 2021, déficit comblé par de croissantes subventions. L’année 2020 est partiellement sauvée par le « Quoi qu’il en coûte ». La chambre préconise des économies avec des adaptations de productions déjà produites ailleurs bien que la taille de la scène orangeoise soit plus large que dans les salles de spectacles pour transposer des décors. Ses comptables experts, prenant le rôle de directeurs artistiques, proposent une diversification comme la danse, des mini-concerts et d’autres formes musicales dans les 55 à 58 jours d’occupation de la scène par convention avec la ville.
Déficit d’outils et de compétences
Pour renouveler et rajeunir la clientèle, encore faudrait-il connaître le profil des spectateurs actuels. L’outil de gestion commerciale de la SPL ne permet aucune statistique. L’administration du Festival ne projette aucune action à l’international pour accueillir de riches étrangers. Son ambition se réduit à limiter l’érosion des 30 000 à 35 000 festivaliers accueillis par saison. Vieillissants, ils seraient aux deux tiers retraités à 65% féminins, essentiellement français, 46,1% hors région, issu des classes supérieures. La communication-marketing ne repose que sur une seule personne et un budget de 240 000 €, une situation « inadaptée aux enjeux ». La chambre régionale souligne que 14,5% à 27,3% des places sont accordées gratuitement « sans aucun cadrage particulier ».
Quid des retombées économiques
Restons pragmatiques. Les politiques financent les manifestations artistiques autant pour satisfaire les attentes culturelles de leurs administrés que pour générer des retombées économiques locales. Sur ce plan, les Chorégies ratent encore le coche. Leur programmation repose sur des opéras très espacés dans le temps en raison de leur longue préparation. Ces intervalles ne permettent pas de fixer sur plusieurs jours des touristes. Quand bien-même ces mélomanes voudraient rester sur place, la commune dispose d’une capacité hôtelière faible tant qualitative que quantitative. Les Chorégies ne sont pas intégrées dans le pass touristique local, le site ne dispose pas de transport en commun (compétence régionale) et le potentiel de stationnement est trop limité. L’office du tourisme intercommunal n’est pas associé à la promotion de l’événement.
Ultime défi
La chambre régionale préconise donc la gestion par une structure au statut adapté « la réalisation d’un schéma prospectif concernant le modèle économique et artistique (…) pour faire un choix avisé pour refonder le modèle économique et artistique et le positionnement des Chorégies pour les prochaines décennies » en y associant le plus grand nombre de partenaires concernés. Et d’évoquer la création d’un festival Off gratuit pour prolonger intensifier les journées artistiques et une durée d’événement raccourcie. La Chambre réclame une rigueur et une régularité de gestion et de la comptabilité. C’est le moins que l’on puisse demander à une structure publique. Les élus régionaux du nouveau conseil d’administration sont désormais au pied du (grand) mur.
Emmanuel Brugvin