Avec des procédés écoresponsables, Phénix en Provence développe de nouvelles familles d’ingrédients pour les cosmétiques. Implantée en Provence, l’entreprise travaille en étroite collaboration avec la filière agricole locale.
Si l’avenir de l’agriculture provençale reposait, pour partie, sur des produits de haute technologie à forte
valeur ajoutée. C’est le pari que font André Bernard, président vauclusien de la chambre régionale d’Agriculture, Patrice Florentin, directeur général de la CAPL, la Coopérative Provence Languedoc installée depuis 1884 à Avignon, et Leila Falcao, docteure en sciences. Tous cherchent en permanence à trouver de nouveaux débouchés à la production agricole. Les avancées les plus importantes portent sur la filière tomate en attendant la valorisation d’autres fruits de la région.
Un jour André Bernard prend contact avec Leila Falcao. Cette scientifique installée à Avignon, ex-responsable de recherche et développement d’ingrédients naturels nutraceutiques de Naturex (devenu Givaudan) de 2012 à 2018, y a déposé plusieurs familles de brevets et créé 350 nouveaux ingrédients. Après avoir quitté l’entreprise d’Agroparc, cette chercheuse brésilienne crée son cabinet conseil Inaturals. Au travers de relations personnelles, André Bernard la met en contact avec Patrice Florentin. Avec la CAPL, partenaire solide (150 M€ de chiffre d’affaires), la chercheuse crée une entreprise commune, en 2021, Phénix en Provence. Le but, transformer la drèche de tomate (peau et graines) en ingrédient cosmétique, voire agroalimentaire, à haute valeur ajoutée.
R&D
La CAPL a repris en 2019 l’usine de transformation Provence Tomates à Tarascon (13) à la barre du tribunal de commerce. Au bout de 10 ans d’activités, cette structure cumulait 12 M€ de pertes et 30 M€ de dettes. Depuis la reprise, son chiffre d’affaires est passé de 7 M€ à 20 M€. Rebaptisé Le Panier Provençal, l’outil industriel gagne de l’argent. De son côté, Leila Falcao a déjà investi 80% des recettes de son cabinet pour effectuer des recherches sur des ingrédients crées à partir de la drêche tomate. Son objectif : créer un actif cosmétique sans le lycopène (antioxydant et colorant) utilisé depuis plus de 20 ans par ailleurs contre les maladies cardiovasculaires.
Sur cet actif cosmétique sans lycopène, 4 ans de travaux de recherche pré-clinique et clinique lui permettent d’enrichir un extrait avec des molécules appelées amyrines aux vertus anti- inflammatoires. En recoupant avec des études universitaires brésiliennes réalisées sur les plantes amazoniennes, Leila Falcao isole les amyrines delta (δ) avec du CO2 supercritique et recyclable, une technologie verte, alors que d’autres industriels peuvent employer des solvants issus du pétrole. Ses travaux s’effectuent avec des centres de recherches régionaux publics et des laboratoires privés.
Essais cliniques
Reste à tester l’actif cosmétique dans un produit. Avec le professeur Edith Filaire de l’Université de Clermont-Ferrand, et Rachida Nachat-Kappes, docteur en biologie, la docteure en sciences fait tester l’ingrédient sur la peau de 35 femmes à la peau sensible pendant 28 jours. Les deux chercheuses prouvent contre placebo, que l’ingrédient intégré à 0,5% dans une crème possède un effet hydratant, apaisant, diminue l’érythème cutanée, renforce la fonction barrière de la peau et réduit de 32% la profondeur des rides sur les pattes d’oie. Edith Filaire complète l’étude avec des prélèvements salivaires. Le résultat des tests révèle une modification du taux de cortisol et du DHEA, aux effets positifs directs sur l’état émotionnel, notamment le stress et les émotions positives de la personne. « Nous proposons une innovation pour la neurocosmétique », assure Leila Falcao. Les travaux font l’objet d’une publication scientifique au mois de mars 2024 dans la revue à comité de lecture Cosmetics.
Outil industriel
Sur le site industriel du Panier Provençal, Phénix en Provence met en place une unité de transformation. Pour la partie séchage, Leila Falcao choisit un fabricant français. Pour la partie tri, l’entrepreneuse sollicite un fabricant japonais pour adapter ses machines initialement utilisées pour le tri des minerais de la terre, pour isoler écologiquement (voie sèche) la peau et les pépins de tomate. L’usine peut isoler à ce jour les pépins, la peau mais aussi l’hydrolat de tomate. Plusieurs entreprises cosmétiques de petite et grande taille achètent déjà les ingrédients. Phénix en Provence est en passe de signer un contrat avec une major nord-américaine des cosmétiques.
Pomme, raisin
L’entreprise veut aller plus loin encore. Ses travaux portent sur la valorisation des raisins. La peau pourrait produire de la cire et des colorants, les pépins des protéines et des huiles pour le soin de la peau et des cheveux. La CAPL vient d’intégrer, tour à tour, les coopératives viticoles de Sablet et de Gigondas et cherche à valoriser ses marcs, voire certains raisins en pleine crise viticole. Le traitement de la pomme offre également de belles perspectives. « Avec plusieurs fruits, nous pourrons optimiser l’utilisation de notre outil industriel suivant les dates des récoltes », précise Leila Falcao. L’entreprise emploie aujourd’hui 3 personnes, 30 pendant la période de ramassage des tomates. L’eau extraite des produits intéresse également l’industrie agroalimentaire. « Nous travaillons sur un ingrédient pour les boissons et nous cherchons des débouchés commerciaux », ajoute la chercheuse.
Ecoresponsable
Phénix en Provence s’inscrit dans une démarche écoresponsable. Pas de solvant issu de l’industrie pétrolière. Les drèches à traiter proviennent directement de la coopérative à 85°C limitant l’usage d’énergie pour le séchage et le transport. Les matières premières proviennent des cultures de la vallée du Rhône. Cette démarche s’intègre dans le plan Tommates d’André Bernard. Le Panier Provençal n’assure que 10% du besoin national. Le projet prévoit d’atteindre 25% d’ici 2030, soit de transformer 350 000 tonnes au lieu de 190 000 tonnes actuellement.
Le plan Tommates envisage la construction de deux usines de proximité par an de 80 000 tonnes de production chacune. Outre les ingrédients cosmétiques, leurs déchets assureront une production de méthane. La vallée du Rhône pourrait devenir le berceau d’une filière écoresponsable, circulaire en circuits courts, productrice de produits à haute valeur ajoutée pour mieux valoriser ses agriculteurs.
Emmanuel Brugvin