A la moitié de ce second confinement qui ne ressemble pas tout à fait au premier, les commerçants du centre ville accusent le coup. Entre réelles pertes financières, tentatives d’adaptation et incertitudes face à l’avenir même proche, ils tentent de trouver des solutions pour pérenniser leurs entreprises. Nous sommes allés à leur rencontre.

Comme partout en France, les rideaux métalliques du centre ville d’Avignon sont baissés et ce, jusqu’à nouvel ordre. Certains sont totalement fermés, d’autres pratique le click and collect et ceux de la restauration qui le peuvent sont passés à l’emporter.

Evidemment les pertes sont réelles. Corinne Chatriot qui tient trois boutiques Intra Muros (IKKs junior, Kidiliz et Icode ) accusait, déjà avant le second confinement, une baisse de 30% de son chiffre par rapport à l’année dernière.

Une situation intenable

Corinne Chatriot qui emploie quatre personnes a pu, comme tout le monde, les faire bénéficier du chômage partiel et assure donc seule la gestion de ses boutiques.

Même cas de figure pour Aurélie et Jawad,  les gérants du Beaucoup Store, qui possèdent 3 affaires à Avignon, 1 à Montpellier et 10 employés. « Il faut savoir qu’en tant que chef d’entreprise on a dû quand même avancer les salaires, donc il faut une bonne trésorerie » nous explique Aurélie « le chômage partiel permet de sauvegarder les emplois, l’effectif de l’entreprise, mais les charges fixes continuent de courir ».

Cette charge, les commerçants la vivent tous, le chef d’entreprise continue de travailler seul, gère la comptabilité, les commandes des clients, les fournisseurs, toute la chaine. C’est finalement plus qu’un temps plein avec évidemment une baisse de salaire significative.

Corrine Chatriot s’inquiète de ces mesures qu’elle juge insuffisantes « le chômage partiel va maintenir l’emploi certes, mais si les entreprises ferment, qui va embaucher par la suite si on n’arrive plus à payer les loyers de nos locaux ? C’est ce qui va se passer .»

De l’énergie malgré la crise

Pour Manon qui tient le restaurant Chez Nine rue des Fourbisseurs, la situation est différente. Elle a ouvert son affaire le premier jour du premier confinement. Elle a dû se faire une clientèle dans une configuration très extrême.

Manon, Avignonnaise depuis 29 ans, possède un bon réseau et elle le reconnaît « c’est grâce à tout les gens qui me connaissent depuis toujours que j’arrive à travailler, et j’ai de la chance, je vis de ma passion et je reste quand même au contact de ma clientèle ».

Aujourd’hui elle propose une cuisine familiale variée, colorée et à emporter bien-sur. « Le bouche à oreille fonctionne et on essaye de s’entraider entre commerçants. Quand je ne travaille pas, je vais faire mes courses aux Halles et j’achète mon fromage chez la Laiterie Gilbert par exemple. Ils me le rendent et ils me commandent des petits plats »

Si Manon reste positive, elle parvient tout juste à payer ses charges et remarque que les gens commandent moins qu’au premier confinement. « Je mets ma vie de côté pour pérenniser mon entreprise ».

Le e-commerce pour continuer d’y croire

Depuis quelques mois donc, beaucoup se sont mis au e-commerce ou dans une moindre mesure au click and collect. Le gouvernement a offert une aide de 500 € aux entreprises pour mettre en place un site internet.

A l’échelle locale, la municipalité d’Avignon a créé une plateforme afin de référencer les entreprises qui pratiquent le click and collect dans le secteur. Comme Corinne le souligne « on n’est pas habitués à vendre comme ça, l’interaction avec le client, les essayages c’est notre façon de fonctionner, et évidemment créer un site et le gérer c’est un nouvel investissement ».

Pour Aurélie et Jawad, la situation est différente car leur site existait déjà, très présents sur les réseaux sociaux, le virage digital avait déjà été pris. Selon Aurélie « le click and collect est efficace mais à travers la communication sur les réseaux, il faut garder une visibilité constante. »

Aujourd’hui, le Beaucoup Store propose une livraison gratuite dans l’Intra Muros et des envois via Collisimo partout ailleurs. Les deux commerçants tentent de s’adapter au mieux en faisant évoluer notamment leur collection « cette année pas de strass et paillettes mais plutôt une ambiance cocooning ». S’ils restent positifs, les incompréhensions comme le sentiment d’une certaine incohérence dans les mesures proposées subsistent.

Corinne partage cet avis « pourquoi fermer tous les petits commerces et privilégier les géants de la distribution ? Ça ne fera qu’amplifier les inégalités et tuer les petites entreprises tout en engraissant les grosses.»

Pour Aurélie, l’argument lié aux mesures sanitaires ne tient pas la route « il faut qu’on m’explique comment une grande surface de plusieurs centaines de m2, avec des milliers de produits et qui accueille des milliers de personnes par semaine est plus sûre sur le plan  sanitaire qu’une petite boutique. Moi je désinfecte après chaque client et je n’ai pas l’affluence de ces grosses structures. »

Et Corinne de conclure « c’est encore Amazon qui va se gaver ».

Amazon grand vainqueur, encore

Richard Hemin, Président de la Fédération des commerçants et artisans d’Avignon abonde dans ce sens et va même plus loin « pour répondre à la colère de certains commerçants, on a fermé des rayons dans les grandes surfaces, mais ces mesures restent symboliques puisque les petits commerces restent fermés aussi, où vont aller acheter les gens ? Sur Amazon. »

Le géant américain semble en effet être le grand gagnant de la gestion d’une crise sanitaire qui met à mal encore une fois les plus petits. Et Corinne de rebondir « comment voulez-vous qu’on rivalise sur le terrain de la vente en ligne avec eux ? Il nous restait un avantage celui du rapport humain et du contact client. On fait comment maintenant ? »

Richard Hemin est restaurateur, il tient le Grand Café Barretta et il conçoit entièrement que les bars et les restaurants soient fermés, en revanche comme beaucoup, il n’adhère pas à la fermeture des petits commerces « même moi qui ne le fais jamais, j’ai du commander sur Amazon, aujourd’hui c’est comme si on obligeait les gens à avoir ce réflexe, c’est dramatique et pas du tout équitable. »

En effet, au deuxième trimestre 2020, Amazon affichait un chiffre d’affaires de 88,9 milliards de dollars (75 milliards d’euros), une hausse de 40% sur un an. Au vu de l’actualité, les chiffres de fin d’année suivront probablement. Une entreprise qui ne connait pas la crise mais qui en tire profit donc.

Dans l’attente de réponses

A 10 jours de la fin supposée de ce confinement, les commerçants restent dans le flou et dans l’attente de réponses. Vont-ils pouvoir rouvrir ? Dans quelles conditions ? Qu’en est-il des fêtes de fin d’année ? Vont-il se relever de cette année chaotique ?

Richard Hemin qui a pris ses fonctions deux semaines avant le premier confinement tente tant bien que mal de mener à bien des actions pour les commerces avignonnais « on a restructuré la fédération et centralisé l’argent des 14 associations afin d’être plus fort ensemble ». En revanche beaucoup d’évènements prévus ont été annulés et d’autres à venir semblent marqués d’un énorme point d’interrogation. « On a acheté 35 chalets pour le marché de Noël, on est censé ouvrir le 27 novembre et à la Préfecture, on nous répond pas ».

Aujourd’hui les commerçants se battent pour sauver leurs entreprises. Certains gardent l’espoir que tout va rentrer dans l’ordre, certains pensent se reconvertir quand d’autres considèrent déjà de fermer définitivement. Et tous se sentent seuls.

Pour information, l’adjoint au Maire chargé du développement économique de la ville d’Avignon, Claude Tumino, n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

Marie-Rachel APARIS