Il y a des décisions politiques qui apparaissent parfois irréversibles tellement elles impactent le quotidien de nos concitoyens de façon négative. A l’instar du Plan Faubourgs mis en place par Cécile Helle, la fusion-absorption entre Vallis Habitat et Grand Delta Habitat risque d’affaiblir la Présidente du Département Dominique Santoni et les élus de sa majorité. En effet, prendre la décision de privatiser un office public de l’habitat de façon précipitée, sans concertation, qui plus est, dans un contexte de crise économique et énergétique aura un impact important dans les mois et années à venir.
Durant le mandat de Dominique Santoni, les dysfonctionnements qui apparaitront au sein de Grand Delta Habitat seront largement imputés à cette privatisation, ils vont ainsi cristalliser la colère des locataires, des collaborateurs du bailleur et des élus contre l’exécutif départemental. Même quand ce dernier, n’aura aucun lien avec ces dysfonctionnements. Le plan Faubourgs a complètement gâché le deuxième mandat de Cécile Helle, cette privatisation va-t-elle gâcher le mandat de Dominique Santoni ? Voici quelques éléments de réponse…
Le reproche de l’autoritarisme
De l’avis de tous les observateurs, au delà du choix politique, la méthode employée pour cette privatisation a révélé un visage de Dominique Santoni que nous ne connaissions pas. L’autoritarisme, la précipitation et le manque de transparence qui ont présidé à cette décision en dit long sur sa méthode de management et celle de son cabinet. La Présidente du Département a rencontré une seule fois les organisations syndicales de Vallis Habitat alors que cette privatisation est historique et qu’elle inquiète à la fois les collaborateurs et les locataires de l’Office Public. Seulement 1 an après son élection, cette séquence a altéré considérablement son image de femme ouverte au dialogue et au consensus.
Le contentieux juridique
Dans ce type de privatisation d’envergure, la complexité juridique de l’opération se transforme souvent en contentieux juridique. Dans ce cas précis, le document intitulé « engagements contractuels complémentaires au traité de fusion entre Vallis Habitat et Grand Delta Habitat » signé par la Présidente du Département, le Président et le Directeur de Grand Delta Habitat et la Présidente de Vallis Habitat semble poser problème. En effet, comment la Présidente d’une collectivité de rattachement d’un bailleur public et en l’occurence Vallis Habitat peut-elle signer un document contractuel sur la fusion-absorption de son office public avant même que les élus du Conseil d’Administration de cet office public ne se soient prononcés sur cette fusion-absorption ? Ce document contractuel a été signé le 5 septembre et transmis aux élus du Conseil d’Administration de Vallis Habitat lors de la réunion du CA du 6 septembre qui devait entériner ou pas cette fusion-absorption.
Ce document a également été transmis aux élus du Département avant l’assemblée prévue le vendredi 7 octobre qui délibérera favorablement ou pas sur cette fusion-absorption. Au delà des dimensions démocratiques et politiques, complètement balayées dans cette affaire, comment la Présidente pouvait-elle engager juridiquement la collectivité dans un contrat avant la délibération de son assemblée ? Du coup cette délibération peut-elle faire l’objet d’un recours ? A suivre…
La hausse des loyers et/ou des charges
On l’a vu dans le rapport de l’Ancols qui pointe la politique de loyers mise en œuvre par Grand Delta Habitat qui « conduit à des niveaux de loyers pratiqués supérieurs aux références locales du parc social ». Après cette privatisation de Vallis Habitat, les loyers vont être scrutés par les collectifs de locataires et par les locataires eux-mêmes. La moindre augmentation, y compris légale, sera imputée à la privatisation. Avec des conséquences importantes politiquement pour les élus qui auront voté favorablement pour cette privatisation et les interpellations des locataires dans leur canton.
La situation des fonctionnaires
Il y a actuellement 304 collaborateurs au sein de Vallis Habitat dont 147 qui possèdent le statut de fonctionnaire. Pour se conformer à la loi, le Département va devoir créer 147 postes au Département puis détacher ces personnels qui souhaitent intégrer Grand Delta Habitat. Ces fonctionnaires ne perdront pas leur statut, ils pourront choisir de travailler chez le bailleur privé par période contractuelle de 5 ans. Si certains ne souhaitent pas intégrer Grand Delta Habitat pour diverses raisons, le Département devra les accueillir au sein de la collectivité sur un autre poste ou les diriger vers le centre de gestion au cas échéant.
Pendant cette période au centre de gestion, le fonctionnaire perdra environ 40% de la rémunération et des avantages qu’il possédait au sein de Vallis Habitat. Le Département devra payer ce fonctionnaire sans affectation, ni mission. S’ils sont quelques-uns à intégrer le centre de gestion, cette situation sera gérable. En revanche, s’ils sont nombreux, il faudra expliquer aux contribuables Vauclusiens que dans le 5 ème département le plus pauvre de France, on paye des fonctionnaires qui restent à la maison. Cette situation sera vécue comme une double peine pour le fonctionnaire ! Non seulement il n’a pas choisi cette privatisation mais en plus, il va se trouver sans travail et dans une situation financière inextricable. Loin du gagnant-gagnant, c’est bien le perdant-perdant qui se dessine.
Des réhabilitations et des constructions qui piétinent
La vie d’un bailleur social d’envergure n’est pas un long fleuve tranquille. Si la privatisation a lieu, Grand Delta Habitat sera doté d’un parc de 38 000 logements ce qui implique davantage de complexité dans sa gestion et sans doute moins de souplesse. Si les engagements de réhabilitions et de constructions ne sont pas ou que partiellement tenus, là encore, il sera facile d’imputer ces retards et dysfonctionnements à la privatisation. Certains n’hésiteront pas à parler de promesses non tenues. La situation sera compliquée et les conséquences politique pour l’exécutif départemental, nombreuses.
Des dysfonctionnements opérationnels, l’approche managériale
Propreté des résidences, réparations en tout genre, interventions dans les logements, là encore, les exigences seront plus importantes après cette privatisation qu’avant. Les équipes et les collaborateurs de Grand Delta Habitat vont devoir relever un défi monumental. Les process et les affectations vont changer pour les personnels de Vallis Habitat. Quelles vont être les conséquences de ces changements pour le personnel (management, conditions de travail) et pour le service rendu aux locataires ? Va-t-il se dégrader, s’améliorer ? En cas de dégradation, le Département sera le grand perdant.
Le mécontentement des élus
Le logement social est sans doute l’un des services publics le plus important dans les territoires. 70% de la population en France est éligible à un logement social. Les Maires et élus sont sans cesse sollicités par leurs administrés pour accéder à un logement ou effectuer la réhabilitation de leur habitation, de leur entrée ou de leur résidence. La situation monopolistique de Grand Delta Habitat sur le logement social du Vaucluse va lui conférer un pouvoir important. Comme l’indiquait le rapport de l’Ancols, la gouvernance des SCIC laisse peu de place à ses actionnaires : « La transformation en SCIC a permis l’entrée au capital de salariés et de locataires, mais a réduit la proportion des droits de vote d’ALI de 64 % à 35 %. Même s’il conserve une minorité de blocage, la diminution de son pourcentage de droits de vote affaiblit fortement son pouvoir d’actionnaire majoritaire, le dépossédant ainsi de la maîtrise des décisions. »
Les deux ou trois premières années, le Département va sans aucun doute conserver un droit de regard sur la gestion de Grand Delta Habitat mais va rapidement être confronté aux exigences et aux enjeux d’une société privée et à un cadre juridique. Terminée, la toute puissance de l’intervention politique.
Les suppressions d’emplois
Là encore, les engagements ne sont pas clairs dans ce dossier. Dans le fameux document intitulé « engagements contractuels complémentaires au traité de fusion entre Vallis Habitat et Grand Delta Habitat », le bailleur privé s’engage à conserver « 700 collaborateurs après la fusion », sans précision de leur statut. Un engagement qui n’a pas été étayé par la présentation d’un organigramme précis aux représentants du personnel. Comment peut-on s’engager de la sorte sans avoir initié les changements d’organisation inhérents à ce type de fusion-absorption ? Cet engagement sera donc très difficile à tenir.
Quid de la stratégie réelle de Grand Delta Habitat
Et si cette privatisation servait surtout l’agenda financier de Grand Delta Habitat ? Ces dernières années, le bailleur privé s’est lourdement endetté pour consentir à des investissements importants. Son désir d’implantation régionale n’est pas un secret même si le Vaucluse reste son territoire originel. Depuis 2019, et sa démarche engagée auprès de l’agence de notation Standard & Poor’s, il a entrepris une opération de séduction auprès des acteurs bancaires pour pouvoir continuer de financer son développement.
Intégrer 17 000 logements d’une valeur d’1 milliard d’€ environ dans son parc (évaluation du Président des OPH de France) et éliminer dans le même temps, son principal concurrent sur son territoire est sans doute le meilleur coup stratégique qu’auraient pu faire les dirigeants de Grand Delta Habitat. Les capacités de développement du bailleur privé vont désormais être extraordinaires et la confiance du secteur bancaire renforcée. Il faudra être très attentif à ce que le patrimoine de Vallis Habitat ne serve pas prioritairement cet agenda et cette stratégie financière.
Ce serait fatal pour la Présidente et les élus du Département.
Jamil Zéribi