Avec le départ de tous ses salariés, la Provence Numérique, la coopérative d’une cinquantaine d’entreprises vauclusiennes mobilisées pour accompagner les dirigeants du département dans leur transition digitale perd toute action opérationnelle. 

La Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) la Provence Numérique est-elle morte ? Dans un courrier de son président fin août, Patrice Morgallet (photo ci-contre), annonçait le licenciement de l’ensemble des salariés, une demande de report des dettes sociales et la vente, 65 000 €, du « Camion numérique » financé par des subventions et un crowdfunding organisé par la CoVe. Cette SCIC s’était donnée pour mission d’accompagner l’ensemble des entreprises du Vaucluse dans leur indispensable mutation numérique avec des soutiens « de la gestion de l’entreprise à la fabrication 3D en passant par le marketing digital ». La mort opérationnelle de la SCIC apparaît comme un coup dur pour l’économie vauclusienne.

Cinquante sociétaires dans le projet

Son directeur, Pierre Brouard, également licencié, revendiquait un réseau de dizaines d’entreprises partenaires capables d’accompagner cette transition, la Provence Numérique se chargeant de réaliser un audit de leurs besoins et de les mettre en contact avec les bons interlocuteurs. Récemment, sur fond de dissensions, ses équipes avaient déjà quitté Carpentras accueillies par la ville de Monteux, avec pour objectif d’ajouter à leurs prestations des services de coworking. Dans un courrier aux coopérateurs, Pierre Brouard, dénonce un état de fait « violent car, nous les salariés, nous portions, avons mis l’énergie et 7 ans d’efforts ». 

Le Rendez-vous du Numérique

Illustration des actions de la Provence Numérique, l’organisation à Sorgues le 29 juin 2022, des «Rendez-vous du Numérique». Ce salon mettait en relation l’ensemble des apporteurs locaux de solutions avec les entreprises du département. La Provence Numérique avait associé à l’opération le Rile, la pépinière d’entreprises de Carpentras, et Ecti, association nationale d’anciens dirigeants d’entreprise qui transmettent bénévolement aux entrepreneurs leur expérience.

À LIRE AUSSI :

Be Energy, la nouvelle pépite Française de la Greentech est Vauclusienne

L’Assemblée Générale Extraordinaire

Aujourd’hui, Patrice Morgallet, donne sa version de la situation. « Depuis le début 2023, nous traversons une période difficile en perdant plusieurs marchés importants. Après plusieurs séances de travail entre la cinquantaine de sociétaires, une Assemblée Générale Extraordinaire devait statuer le 31 août sur l’arrêt ou la continuité des activités. Cette AGE a finalement décidé de continuer les activités », sans vraiment préciser lesquelles. Cette coopérative qui avait obtenu sa certification Qualiopi, pouvait poursuivre l’organisation de formations.  « Il s’avère que cette unique activité est insuffisante sur ce marché concurrentiel de la formation à soutenir les finances », souligne son président.

La Gare Numérique

Pour décrypter ce naufrage, revenons en arrière. La CoVe lançait en 2015, un important projet de rénovation urbaine et économique sur son pôle d’échange multimodal avec la création d’une gare ferroviaire de voyageurs et le rachat des locaux de l’ancienne gare. Francis Adolphe, maire et président de l’Agglo à l’époque, mettait 500 000 € d’argent public avec, notamment, la création de la gare numérique dans les anciens locaux rénovés pour créer un tiers lieu pour accompagner les entreprises du Comtat dans leur modernisation digitale.

La CoVe missionne alors Pierre Brouard pour réaliser une étude de faisabilité qui donna entière satisfaction. Puis l’embauche pendant trois ans en CDD comme chef de projet de réhabilitation de la gare au sein de la direction du développement économique de l’Agglomération.

La CoVe soutient également une « association de préfiguration de la Gare Numérique » avec Roger Jacquemin, ancien cadre dans le privé et patron pendant des décennies du développement économique local, comme président. Pierre Brouard s’acquitte de sa tâche et réussit à faire subventionner l’association pour acquérir des équipements digitaux et un camion pour aller porter la bonne parole numérique. Pendant les travaux des anciens locaux SNCF, la « Gare numérique » s’installe dans d’anciennes boutiques mises à disposition par la ville à la Porte de Monteux pour réaliser un fab lab.

De premières dissensions apparaissent avec la communauté d’agglomération qui reproche déjà à Pierre Brouard d’utiliser son temps professionnel et son statut pour des missions d’apporteur d’affaires pour une des entreprises locales. 

Naissance de la Provence numérique

Fin du CDD de trois ans. L’association, se transforme en SCIC toujours avec soutien de l’Agglo mais avec la demande expresse à ce que Pierre Brouard ne soit pas recruté.  Pierre Brouard finalement se fait embaucher comme directeur. Puis Patrice Morgallet arrive comme président. La situation se tend à l’extrême. Confier à cette équipe la « Gare numérique » dans l’ancienne gare SNCF devient alors inenvisageable. La SCIC a interdiction de prendre le nom de « Gare Numérique » et se rebaptise la Provence Numérique. 

Stratégie boulimique

Pour atteindre une taille critique rapidement, la SCIC court les subventions, répond aux appels à projets publics, prend des marchés de formation, recrute du personnel. Comme la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf, la SCIC part tous azimuts et propose des prestations d’audit, de formation, de médiation numérique, de gestion d’un fab lab, noue des partenariats au Pontet, à Courthézon, à Briançon… La stratégie d’entreprise s’écarte toujours plus de la commande de départ de la Cove. 

Les impairs se multiplient. À titre d’exemple, dans le cadre d’une formation vendue du Greta de technicien en assistance informatique, Pierre Brouard s’avère incapable de fournir du personnel qualifié. Un médiateur numérique envoyé au feu, chargé de former au paramétrage d’un réseau informatique d’entreprise (NaaS), en démissionnera. Patrice Morgallet, en personne devra assurer quelques cours en urgence. 

Dans cette fuite en avant, la SCIC répond à un appel à manifestation d’intérêt via France Numérique. Son dossier n’est pas retenu par les services de l’Etat. C’est la chute de cet été. Pierre Brouard annonce quitter la région. 

Jean-Marc Behm, un des administrateurs de la coopérative, convoqué à l’assemblée générale du mois d’août annonçait publiquement n’avoir pas toutes les informations. Le dirigeant de Jour8 Media & Services considérait, avec le départ précipité de tous les salariés que « la SCIC plongeait inexorablement vers un état de mort cérébrale ». 

Écosystème numérique

Dans le même temps, le service du développement économique de la Cove a repris le dossier de la Gare Numérique et accueille des entreprises. La structure compte déjà 10 résidents et un projet de brasserie. À ceux qui comparent la lenteur du démarrage du site à la croissance effrénée de la SCIC, les élus communautaires opposent leur haut niveau d’exigence dans l’accueil des occupants pour assurer la mise en place d’un écosystème qui fonctionne. Avec une inauguration prévue le lundi 16 octobre 2023 à 15 heure 15 avec le président de Région et une journée portes ouvertes le vendredi 20 octobre. Les entreprises vauclusiennes ne restent pas pour autant démunies.

Sur Avignon, la French Tech Grande Provence poursuit sa mission de « développer les collaborations inter-entreprises du numérique, générer des nouvelles filières de formation locales au digital et apporter une lisibilité sur les dispositifs financiers des startups ». Avec une structure solide et la Gare Numérique revenue à sa feuille de route de départ, la mutation digitale vauclusienne est en marche. 

Emmanuel Brugvin

 

Crédit Photo : Emmanuel Brugvin